Des expo de mode pas parisiennes (partie 1) : Balenciaga magicien de la dentelle

Posté le 23 juin 2015 dans 23 juin 2015 dans Billets

Pas de revue d’expo cette fois-ci, parce que je n’ai pas encore eu l’occasion de la voir. Cependant le sujet et le lieu sont attrayants. La cité de la dentelle à Calais est ouverte depuis 5 ans dans une ancienne usine et se fait force de présenter à la fois le savoir-faire intrinsèque de la région et les innovations actuelles. Loin d’être anecdotique ce thème transversal permet de comprendre que Balenciaga a utilisé cette technique sous toutes ses formes tout au long de ses années de création

Catherine Join-Diéterle, commissaire de l’exposition est intervenue lors d’une session du séminaire de l’histoire de la mode pour expliquer les dessous de l’exposition ainsi que ses choix thématiques et scénographiques. Elle a travaillé en collaboration avec Hubert de Givenchy pour la cohésion de l’ensemble. L’écouter est un pur régal, car loin de sacraliser le rôle du conservateur, elle permet de comprendre par quelles étapes, quelles interrogations elle est passée pour construire son propos. Trouver les bonnes pièces, croiser les prêteurs pour avoir un propos cohérent qui rende le vrai travail du couturier…

Faire aussi parfois avec ce qui existe encore ou ce qu’il faut recréer sans trahir l’esprit de la maison. L’équilibre est subtil, mais son enthousiasme est tel qu’il donne vraiment envie de se précipiter à Calais.

Catherine Join-Diéterle au séminaire de l’histoire de la mode  © De fil en archive

Catherine Join-Diéterle au séminaire de l’histoire de la mode © De fil en archive

Pour introduire le goût de Balenciaga pour la dentelle, les premières pièces proposées datent de sa période espagnole : robe en tulle avec un plissé en diagonales inversées par exemple. On retrouve à la fois l’influence de Jeanne Lanvin et de Madeleine Vionnet. Il assimile rapidement ce qui se fait à Paris.

Cristóbal Balenciaga, détail de robe du soir courte en taffetas et tulle, vers 1927 © Manuel Outumuro / Modèle conservé à la Fundación Cristóbal Balenciaga Fundazioa, Getaria, Espagne

Cristóbal Balenciaga, détail de robe du soir courte en taffetas et tulle, vers 1927
© Manuel Outumuro / Modèle conservé à la Fundación Cristóbal Balenciaga Fundazioa, Getaria, Espagne

Dans cette période précise, on retrouve bon nombre de détails liés à sa culture hispanique, une manche historicisante avec de petites pinces, une robe gitane griffée EISA (du nom de famille de sa mère).

Pour bien comprendre et faire comprendre le poids des conventions liées à l’habillement pour la femme de cette époque, l’exposition présente des exemples de tenues : tailleur, robe d’après-midi, robe de cocktail, robe du soir courte, robe du soir longue, robe de mariage… Toute la virtuosité du couturier consiste à bousculer les conventions en inventant des artifices pour les faire évoluer.

Cristóbal Balenciaga, robe de grand soir en dentelle de Dognin, 1951 Griffe BALENCIAGA (Paris) © Henry Clarke/Corbis

Cristóbal Balenciaga, robe de grand soir en dentelle de Dognin, 1951 Griffe BALENCIAGA (Paris) © Henry Clarke/Corbis

 

La dentelle

Si la dentelle est présente aujourd’hui à toute heure du jour, il n’en va pas de même dans les années 50. Balenciaga aime véritablement innover et jouer avec la matière. La guipure (dentelle dont on a enlevé le fond) fait un compromis pour égayer une robe d’après-midi. En s’inspirant de la technique utilisée sur un bavoir (et conservé aux archives Balenciaga) il utilise la technique du créponné, à partir de l’entre-deux de Valenciennes. Il le reprend périodiquement. Le rendu est assez lourd, un peu comme des chenilles.

La technique l’amuse et certaines robes s’ornent d’énormes motifs de passementerie qui ressemblent au style de dentelles qu’il voyait dans son enfance, assez baroques et inspirée de l’architecture palatiale. Cette inspiration espagnole est récurrente, il aime orner ses modèles de mantilles de dentelle. L’influence du peintre Goya n’est jamais très loin. C’est le cas par exemple avec une robe à taille basculée avec son étole cousue.

Cocktail ? vite une robe !

Une section entière de l’exposition est consacrée aux robes de cocktail. Le principe est une robe avec un manteau que l’on ouvrait mais que l’on ne quittait pas. L’idée était de transformer une tenue en deux. Par exemple une robe de satin blanc était portée avec un manteau en dentelle fermé par de petits rubans. Certaines tenues sont plus inhabituelles aujourd’hui comme une tunique qui pouvait se porter avec une jupe ou droite ou un panty.

Cristóbal-Balenciaga-manteau-et-robe-de-cocktail-en-dentelle-Chantilly-1953_Photo-de-dépôt-de-modèle-©-Photo-et-modèle-conservés-dans-les-Archives-Balenciaga-Paris

Cristóbal Balenciaga, manteau et robe de cocktail en dentelle de Marescot, mannequin Tania, 1963 Photo de dépôt de modèle avec échantillon © Photo et modèle conservés dans les Archives Balenciaga, Paris

La couleur n’était pas en reste car le couturier aime la couleur. Vert olive mais aussi or et chocolat ou violet. Une autre particularité est la dentelle peinte. C’est le cas sur la spectaculaire robe de 1953 brodée par Lesage. Le fond est peint à la main et brodé de petits rubans. Le raffinement de la robe est aussi dans les détails de coupe : décolleté en cœur et dos en pointe.

Cristóbal Balenciaga, robe de cocktail en dentelle peinte et brodée, 1953 © Henry Clarke/Corbis Modèle conservé à la Cité de la dentelle et de la mode, Calais Collection Cité de la dentelle et de la mode, Calais

Cristóbal Balenciaga, robe de cocktail en dentelle peinte et brodée, 1953 © Henry Clarke/Corbis
Modèle conservé à la Cité de la dentelle et de la mode, Calais Collection Cité de la dentelle et de la mode, Calais

Cette section présente aussi des formes chères au créateur : forme droite, très caractéristique de son style, forme babydoll, au style très féminin ou encore robes bustiers.

© Fred Collier, cité de la dentelle, Calais

© Fred Collier, cité de la dentelle, Calais

Les robes noires font l’objet d’un thème particulier. Pour les mettre en valeur, Catherine Join-Diéterle a paré les mannequins de gants, bouts de pieds et coiffures.

© Fred Collier, cité de la dentelle, Calais

© Fred Collier, cité de la dentelle, Calais

Cristóbal Balenciaga, robe et manteau de cocktail en dentelle noire, ceinture corselet rose, 1951 © Henry Clarke/Corbis 10 Modèle conservé à la Cité de la dentelle et de la mode, Calais

Cristóbal Balenciaga, robe et manteau de cocktail en dentelle noire,
ceinture corselet rose, 1951 © Henry Clarke/Corbis
10 Modèle conservé à la Cité de la dentelle et de la mode, Calais

 

Connaissez-vous l’ancêtre du snood (mais si vous le connaissez, c’est le chouchou de l’hiver) ? C’est le tube ! Pour délivrer les femmes des contraintes de l’étole à tenir en plus de leur sac, Balenciaga la coud. Ce détail est à la fois très élégant et permet de dissimuler gracieusement les zones de peau qui vieillissent mal (cou et bras).

Certains accessoires complètent la tenue, comme des manches amovibles transparentes. Elles permettent de varier les effets. Pour mettre en valeur la beauté des détails, l’éclairage choisi illumine le dessous des robes.

Une dernière section est consacrée à des pièces exceptionnelles, souvent rebrodées. Le ruban de crin, permet d’obtenir du volume, certains modèles sont entièrement brodés de paille ou de jais synthétique moins fragile que l’original.

L’incroyable boléro de 1962, rebrodé par Lesage appartenait à la comtesse von Bismarck. Les broderies représentent des raisins et des feuilles de vigne, des grappes de raisin en fils de soie, chenille, strass, canetille, laminettes, tubes, fils d’or, paillettes et pierreries.

Cristóbal Balenciaga, boléro du soir brodé par Lesage, 1959 © Manuel Outumuro Modèle conservé à la Fundación Cristóbal Balenciaga Fundazioa, Getaria, Espagne

Cristóbal Balenciaga, boléro du soir brodé par Lesage, 1959 © Manuel Outumuro
Modèle conservé à la Fundación Cristóbal Balenciaga Fundazioa, Getaria, Espagne

La broderie aussi raffinée que délicate fait de cet ensemble une sorte de vêtement-bijou, de coupe très sobre : il est sans col, fermé bord à bord et à manches longues. La princesse Grace de Monaco possédait un boléro équivalent.

Plus de 70 pièces sont à découvrir à Calais pour comprendre l’interaction du couturier avec cette technique. Pour faciliter la compréhension des modèles, sont présentées tout au long de l’exposition à côté des cartels quelques photographies de dépôts de modèle parfois avec leurs échantillons de tissu ou de broderies. Avec soixante- quinze tenues, complétées d’accessoires, d’échantillons, de photographies, de dessins originaux, cette exposition offre un panorama de la création du couturier espagnol et permet aux visiteurs de retrouver l’élégance des deux décennies postérieures à la Seconde Guerre mondiale.

Balenciaga, magicien de la dentelle

Cité de la dentelle de Calais, jusqu’au 31 Août 2015

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