Fashion Mix = le bon mix !

Posté le 18 déc. 2014 dans 18 déc. 2014 dans Billets

Dans le cadre de sa programmation [hors les murs], le Palais Galliera, en partenariat avec le Musée de l’histoire de l’Immigration, propose une réflexion thématique sur la place des cultures étrangères dans l’histoire de la création en France. Quand on pense créateurs étrangers en France, on visualise rapidement John Galliano ou Alexander Mac Queen à la fin des années 90. Cependant l’exposition permet de pointer l’étendue de ces créateurs venus travailler en France, et pas uniquement à la fin du XXe siècle.

Le lieu

Je n’étais pas retournée au Palais de la Porte Dorée depuis son changement d’affectation (ancien musée des arts d’Afrique et d’Océanie, non je ne suis pas un dinosaure…). Il reste impressionnant par ses proportions de temple art déco et sa nouvelle mise en valeur plus majestueuse que dans mon souvenir. En ce premier jour d’exposition, la visite se déroule dans des conditions optimales de tranquillité.

Palais de la porte dorée, colonnade. (c) De fil en archive

Palais de la porte dorée, colonnade. (c) De fil en archive

 

La scénographie

Nichée à l’intérieur de l’espace de l’exposition permanente, l’exposition temporaire prend place dans une immense salle verticale totalement blanche au parquet clair à chevrons. La scénographie se déploie comme un grand fil conducteur par thèmes qui s’imbriquent. Ce qui frappe d’emblée c’est l’absence de monotonie. En effet vitrines, robes mannequinées, dessins, croquis, documents officiels et personnels liés à l’immigration des créateurs se succèdent et captent l’attention. Les stockmans ne sont pas au sol mais en légère surélévation. Les œuvres sont hors de portée de main des visiteurs, même si elles ne sont pas sous vitrines.

Scénographie

Scénographie

Thématique

L’intelligence de l’exposition est de proposer plusieurs points de vue. D’abord les grandes familles géographiques avec une chronologie des créateurs venus tenter leur chance à Paris. Puis le foisonnement des créateurs à partir des années 50 jusqu’à 2014.

Worth ouvre le bal des créateurs étrangers en France, dessinant les contours d’une collaboration étroite avec le Royaune-Uni. Avec lui c’est l’invention de la haute-couture, le début des saisons, de la griffe et la possibilité pour des maisons britanniques de s’implanter en France : Redfern, Creed, Lucile. Son excentricité se retrouve avec ces successeurs. La flamboyante robe Victoire de Christian Dior par John Galliano en 2005 en donne une belle illustration. Les cartels sont très riches et donnent de précieuses informations. On y apprend par exemple les origines de la maison Chloé et sa constance à distiller un style féminin, fluide et léger.

Robe Victoire, Christian Dior par John Galliano

Robe Victoire, Christian Dior par John Galliano

Le thème des innovations textiles permet de présenter le travail de Fortuny, si célèbre pour ses plissés et ses velours encore tellement contemporains. Les correspondances sont mises en valeurs en présentant par exemple un ensemble d’Issé Miyaké à côté de la robe Delphos de Fortuny. La grande modernité de cette dernière pièce saute d’ailleurs au visage. Comme souvent maintenant, les documents relatifs aux brevets et dépôts de modèles prennent une place intégrante dans les vitrines.

Mariano Fortuny, tea-gown, vers 1912 Velours de soie rouge imprimé or, perles de verre rouges Collection Palais Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris © R. Briant et L. Degrâces / Galliera / Roger-Viollet

Mariano Fortuny, tea-gown, vers 1912 Velours de soie rouge imprimé or, perles de verre rouges Collection Palais Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris © R. Briant et L. Degrâces / Galliera / Roger-Viollet

Brevet déposé par Mariano Fortuny y Madrazo (1871-1949 ) pour un genre d'étoffe plissée ondulée. Source  Archives INPI

Brevet déposé par Mariano Fortuny y Madrazo (1871-1949 ) pour un genre d’étoffe plissée ondulée. Source Archives INPI

Une grande révélation pour moi est la place des maisons de broderies créées par l’aristocratie russe fuyant leur pays en 1917. La maison KITMIR (créée par Marie de Russie en 1922) réalise pendant six ans des broderies magnifiques pour Chanel. De même Irfé (contraction d’Irène et Félix Youssoupoff) installe en 1919 une école d’arts appliqués de broderie et de tissage en France. Lola Prusac originaire de Pologne travaillera pour Hermès et utilisera les motifs traditionnels de son pays dans ses créations.

Irène Youssopof

Duplicata du certificat de réfugié de Félix Youssoupoff émis le 9 mars 1955. © Archives Ofpra

Là encore cette filiation trouve son héritier avec Dries Van Noten et son goût pour les couleurs et les motifs décoratifs. Karl Lagerfeld et Sonia Delaunay sont aussi représentés.

 

Schiaparelli et les italiens.

Figure de proue du surréalisme « Schiap » chahute la mode. Ces modèles deviennent de vraies œuvres d’art. On a tous en tête le chapeau chaussure de Gala réalisé avec Dali. On connaît moins ces petits sweaters à effet de trompe-l’œil extrêmement contemporains réalisés avec l’Arménienne Aroosiag Mikaelian, qui travaillait avec elle. Là encore la filiation stylistique est mise en évidence avec Popy Moreni mais aussi Ricardo Tisci et Chiuri et Pierpaolo chez Valentino. La mode italienne reste démonstrative et baroque.

Elsa Schiaparelli, manteau du soir ayant appartenu à Elsa Schiaparelli, haute couture A/H 1949 Collection Palais Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris © Spassky Fischer

Elsa Schiaparelli, manteau du soir ayant appartenu à Elsa Schiaparelli, haute couture A/H 1949 Collection Palais Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris © Spassky Fischer

Elsa Schiaparelli, chapeau-chaussure, hiver 1937-1938 Feutre noir Collection Palais Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris © Eric Emo / Galliera / Roger-Viollet

Elsa Schiaparelli, chapeau-chaussure, hiver 1937-1938 Feutre noir Collection Palais Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris © Eric Emo / Galliera / Roger-Viollet

L’Espagne

La figure tutélaire de Balenciaga flotte sur les créateurs hispaniques. Ayant fui l’Espagne pour des raisons politiques, il marquera la mode française par ses volumes et la construction de ses pièces. Del Castillo a assuré pendant 13 ans la création des collections Lanvin.

Cristóbal Balenciaga, ensemble robe et cape, haute couture P/E 1962. Faille de soie imprimée Collection Palais Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris © Spassky Fischer

Cristóbal Balenciaga, ensemble robe et cape, haute couture P/E 1962. Faille de soie imprimée Collection Palais Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris © Spassky Fischer

Paco Rabanne est arrivé enfant dans le Finistère, après la mort de son père (fusillé). Ce couturier si innovant dans les matériaux qu’il a utilisé, a étudié aux beaux-arts de Rennes.

« Je suis breton » déclare-t-il faisant abstraction de sa culture espagnole.  il invente une mode innovante et décomplexée.

 

Le monde est un terrain de jeux

La seconde partie de l’exposition met en avant l’émergence de destins différents qui forment un tout dans l’histoire de la mode française. Les années 50 marque le début d’une aventure cosmopolite avec les couturiers Piguet, d’origine suisse, Dessès qui se singularise par ses plissés.

D’autres stylistes ou artisans sont mis en lumière dans cette exposition. C’est le cas de Sarkis Der Balian, bottier arménien qui fut meilleur ouvrier de France ou encore Catherine de Karolyi qui travailla chez Piguet et Hermès et qui est à l’origine de la fameuse boucle H de ce dernier.

Titre d’identité et de voyage délivré par l’administration française à Catherine Karolyi, le 18 août 1953. © Archives familiales

Titre d’identité et de voyage délivré par l’administration française à Catherine Karolyi, le 18 août 1953.
© Archives familiales

 

S’ajoute encore à ce très complet panorama le bouleversement de l’arrivée des créateurs japonais, Kenzo d’abord puis, Rei Kawakubo et Yohji Yamamoto et Issey Miyaké. Leur travail est caractérisé par le déstructuré, le non-fini, l’asymétrique, Le noir et le blanc sont leurs couleurs.

Issey Miyake, combinaison réalisée à partir des tenues du créateur enflammées par l’artiste Cai Guo Qiang le 5 octobre 1998, dans le cadre de la performance « Dragon Explosion » à la Fondation Cartier, Paris, 1998 © Spassky Fischer

Issey Miyake, combinaison réalisée à partir des tenues du créateur enflammées par l’artiste Cai Guo Qiang le 5 octobre 1998, dans le cadre de la performance « Dragon Explosion » à la Fondation Cartier, Paris, 1998 © Spassky Fischer

Les chaussures de Tokio Kumaga à partir de 1981 sont des trésors de raffinement avec des thèmes très variés comme les animaux. En regardant certaines balerines, on aimerait voir celles de Marc Jacobs en résonnance.

 

L’école belge, un laboratoire d’apprentissage

 

Si les « six d’Anvers » ont d’abord préféré Londres à Paris, il n’en reste pas moins vrai que la capitale les a accueillis avec beaucoup d’enthousiasme. Martin Margiela a même décidé d’y créer sa maison, dans un quartier très loin de l’avenue Montaigne. Plus de griffe mais une étiquette blanche, pas de mise en avant mais un travail d’équipe revendiqué. Ce fut une vraie révolution !

Martin Margiela, ensemble body troué et jupe rideau, A/H 1990. Collection Palais Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris © Spassky Fischer

Martin Margiela, ensemble body troué et jupe rideau, A/H 1990. Collection Palais Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris © Spassky Fischer

 

Depuis 1990, il y a une accélération culturelle. Sur 164 défilés présentés à paris, 50 sont réalisés par des créateurs étrangers. Installation de leur maison ou juste défilés, sages ou excentriques, il n’y a plus de règles. Tout s’accélère et foisonne. La jeune génération dont font partie Haider Ackermann, Gareth Pugh, Thom Browne ou Iris Van Herpen proposent des expériences poétiques et expérimentales.

 

Au final Fashion Mix, par sa double dimension mode et immigration, donne une vision concrète de la richesse de la mode française dont chaque créateur est une facette vivante et intégrante. Prenez le temps d’y aller.

Un seul regret, le catalogue qui m’a laissé sur ma faim. Avec un tel manifeste je m’attendais à un objet plus attirant.

 

Fashion Mix

Palais de la porte dorée

Jusqu’au 31 mai 2015

 

 

 

 

 

 

 

Mettre en lumière le patrimoine unique des marques de luxe : des trésors à redécouvrir