Il y a des expositions discrètes (avec des heures d’ouvertures discrètes aussi) qui rencontrent un très vif succès. C’est le cas d’Indigo à la bibliothèque Forney. Visite guidée.
La bibliothèque Forney est située dans le quartier du Marais. C’est l’ancien hôtel de Sens, construit à la fin du XVe siècle par Tristan de Salazar, évêque… de Sens (c’est bon vous suivez). Très dégradé après avoir eu de multiples fonctions, il est racheté en 1911 par la ville de Paris. En 1973, le fond de la bibliothèque Forney est transféré dans ce bâtiment. Ces collections sont constituées d’ephemera (entre autres étiquettes publicitaires) mais aussi de livres anciens, papiers peints, tissus….. Bref une vraie mine d’or.
La bibliothèque accueille régulièrement des expositions.
A l’origine de ce voyage dans la teinture, on retrouve une femme qui préfère laisser parler sa collection. Catherine Legrand, créatrice de la marque A la bonne renommée, rassemble ces pièces teintées par l’indigo à travers le monde. Elle est commissaire de l’exposition.
« Cette exposition souhaite contribuer à la sauvegarde des traditions textiles liées à l’indigo, de l’extraction à la teinture, jusqu’aux techniques décoratives qui y sont attachées. Elle participe à une démarche entreprise par certains pays pour que l’indigo soit inscrit par L’UNESCO comme élément du patrimoine immatériel de l’humanité. » Catherine Legrand
Si l’indigo et le pastel sont tous les deux des plantes, la seconde s’adapte dans les régions tempérées. C’est pourquoi le pastel était utilisé en Europe. Son bleu est plus pâle. La première salle présente surtout des vêtements de travail, des costumes traditionnels. Ce qui est frappant c’est la similitude de formes pour des régions du monde très éloignées.
En changeant de pièce, on change de pays : Japon et Chine, puis Maghreb et Afrique noire, pour conclure par l’Inde, le Laos, le Vietnam et le Pérou.De grands panneaux didactiques expliquent les particularités techniques et les habitudes de chaque peuple. Au Japon, la mode de l’indigo est initiée par les samouraïs au XIIe siècle. Comme le coton ne pousse pas dans le nord du pays, les kimonos étaient précieux et donc réutilisés. Même si la mécanisation a eu lieu au XIXe siècle, l’indigo est travaillé par des artisans « trésors vivants» encore aujourd’hui.
En Afrique du nord, on utilise du coton mais aussi de la laine, qui n’absorbe pas l’indigo. Cela crée des nuances plus claires et donc des motifs. Les grands pagnes dogons présentent une diversité de motifs graphiques et symétriques magnifiques (cou de corbeau, croisillons de la falaise). On utilise un système de nœuds et de ligatures qui créent des parties « en réserve » sur le tissu. La teinture se fait après cette étape. Quelques centres subsistent encore au Mali et au Nigéria, malgré la situation politique et les tissus synthétiques.
Au Laos, le bleu est saturé, presque noir et le décor est omniprésent. Les fillettes apprennent à broder tôt. Les ouvrages sont de petites tailles pour être transportés facilement. Ces broderies sont cousues sur le vêtement déjà teint. S’il est trop abimé ou éclairci, les motifs sont conservés et réutilisés. Rien ne se perd tout se recycle !
En Inde, l’indigo a été symbole de rébellion. En effet commercialisé sous forme de blocs séchés le commerce de l’indigoterie a occasionné au XIXe siècle un durcissement des conditions de travail des ouvriers indiens par les colons anglais. La révolte a été cautionnée par Gandhi. Les motifs brodés en Inde sont d’inspiration naturelle.
Le parti pris est de présenter les vêtements principalement à plat, tendus sur les murs. Certaines pièces (sûrement moins fragiles ?) sont posées sur des cintres métalliques ou tenus par des pinces. Des stockmans (mannequins) sont utilisés pour présenter silhouettes les plus richement ornées. Peu de vitrines, mais un système de marquage au sol et de fils tendus pour matérialiser les espaces d’exposition. Au début c’est un peu déstabilisant (vieillot ?) d’avoir un accrochage très ethnographique. Cependant les pièces sont tellement variées et très souvent magnifiques, que le visiteur se laisse gagner par cette accumulation. Cette alternance de motifs bleu et blanc, de broderies et de couleurs vives avec toujours en arrière plan ce bleu vibrant, changeant qui dépayse totalement.
Un des points forts d’Indigo c’est aussi les informations sur les oeuvres. Elles sont distillées pièce par pièce souvent à l’aide d’une grande étiquette carrée qui donne bien sur la provenance et le lieu de conservation, mais aussi quelques détails pratiques ou techniques.
Indigo est vraiment une exposition passionnante qui va au delà d’une analyse technique. Elle permet de voyager, et de voir qu’à partir d’une variété de pigment, le bleu est réinventé en permanence en fonction du pays dans lequel il est utilisé. C’est une manière réjouissante de montrer l’imagination et la diversité de réalisations humaines.
A noter que le catalogue (Edition de la Martinière) qui accompagne l’exposition est très beau et particulièrement bien documenté avec une multitude de photos in situ. Indigo Bibliothèque Forney Du mardi au samedi de 13h à 19h jusqu’au 2 Mai 2015
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