Fiber Futures, tradition et modernité japonaise

Posté le 12 mai 2015 dans 12 mai 2015 dans Billets

Jusqu’au 11 juillet, la Maison de la culture du Japon à Paris accueille cette exposition itinérante sur la création contemporaine japonaise liée à la fibre. Le postulat de départ, c’est la matière : fibre textile (soie, lin, coton, synthétique), fibre de papier, fibre métallique… Ensuite chaque artiste s’approprie ce support. C’est pourquoi sont exposés ici à la fois des installations, des tissus, et des sculptures. On est à la frontière de l’art contemporain, du design, et de l’artisanat. L’exposition comprend une trentaine d’œuvres qui expriment chacune une idée différente. Comme souvent avec l’art japonais on peut choisir de se promener et d’admirer les pièces pour leurs qualités esthétiques et émotionnelles ou alors de s’approprier la démarche de l’artiste, en s’intéressant au processus de création.

Le tissage du temps

 

Ce qui est frappant, c’est cette capacité à combiner la tradition et la modernité dans les réalisations. Le plus bel exemple, pour moi, est le paravent de l’artiste Kyôko Ibe. En s’inspirant d’une pratique ancienne (VIIIe siècle quand même), elle actualise le concept. A la mort d’un noble, on fabriquait du papier recyclé à partir de textes manuscrits, laissés par le défunt. On utilisait ces nouvelles feuilles pour écrire des soutras qui lui rendaient hommage. C’est le kankon-shi (papier permettant le départ de l’âme).

Kyôko Ibe,  Hogosho 2009 Papier ancien recyclé 178 x 452 cm

Kyôko Ibe, Hogosho
2009 Papier ancien recyclé 178 x 452 cm

Kyôko Ibe reprend cette idée en fabriquant du papier recyclé avec des documents qui ont plus de cent ans. L’encre devenue indélébile teinte le nouveau papier en noir. Elle mélange la pulpe obtenue à des particules de mica et de pulpe de papier indigo. Le résultat donne une nouvelle matière, très lisse et qui dévoile ses subtilités quand on s’en approche. Tantôt marbre, tantôt granit mais vraiment magnifique.

Kyôko Ibe,  Hogosho 2009 Papier ancien recyclé 178 x 452 cm Détail © De fil en archive

Kyôko Ibe, Hogosho
2009 Papier ancien recyclé 178 x 452 cm Détail © De fil en archive

Fuminori Ono aime se servir du papier comme un vecteur entre la fabrication ancestrale et l’atmosphère qu’il veut restituer. Ainsi Feel the wind représente des épis de riz dans le vent. Ces couronnes colorées et ajourées jouent sur la transparence, le volume, et la légèreté du papier japonais.

Fuminori Ono, Feel the Wind, 2010 © De fil en archive Pâte chimique, teintures   chimiques, fini de polyuréthane 250 x 350 cm

Fuminori Ono, Feel the Wind, 2010
© De fil en archive
Pâte chimique, teintures
chimiques, fini de polyuréthane 250 x 350 cm

La nature en filigrane

 

Chaque pièce présentée est le petit manifeste d’un artiste. Pas de ligne directrice ou de technique commune, mais l’envie d’expérimenter à partir d’une matière différente. Il n’y a pas non plus message ostentatoire même si la nature est quand même très visible. Machiko Agano réinvente une forêt artificielle à partir de collages et de découpages de papier miroir et de photos de végétaux. Le visiteur devient acteur de cette nature factice en se reflétant dans l’installation.

Machiko Agano, Forêt, 2011 © De fil en archive

Machiko Agano, Forêt, 2011
© De fil en archive

Tomoko Arakawa aime le fil métallique, le plus fin possible et le tisse. Ici son œuvre extrêmement poétique, Prière pour le temps est une ode à la terre fertile avec un lac bleu scintillant et la sensation du moelleux de l’air qui l’entoure.

Tomoko Arakawa Prière pour le temps 2010 Acier inoxydable, pigments, plaque de cuivre 200 x 120 x 30 cm

Tomoko Arakawa
Prière pour le temps
2010
Acier inoxydable, pigments, plaque de cuivre
200 x 120 x 30 cm

Kiyomi Iwata travaille à partir du kibiso, terme qui désigne les dix premiers mètres de fil qu’un ver à soie tisse après son éclosion. Cette fibre est irrégulière et beaucoup plus grossière que le fil de soie. Considéré comme un rebus il était jeté. L’artiste avec Chrysalis en fait un une matière noble et intègre à l’œuvre le dessin préparatoire de la sculpture.

Kiyomi Iwata, Chrysalis, 2010, détail, Kibiso

Kiyomi Iwata, Chrysalis, 2010, détail, Kibiso Photo, De fil en archive

Kyôko Kumai, a inventé de nombreux tissus avant de préférer le métal pour sa création. Son installation Temps évoque les pierres des jardins zen dont chaque place est parfaitement déterminée pour laisser l’esprit vagabonder. L’artiste revendique une invitation au voyage.

Kyôko Kumai Temps 2011 Fil d’acier inoxydable 100 x 300 x 300 cm Photo : Mareo Suemasa

Kyôko Kumai
Temps
2011
Fil d’acier inoxydable 100 x 300 x 300 cm Photo : Mareo Suemasa

 

Textile animé

Une autre thématique se dégage, c’est la transformation du tissu. On retrouve d’abord des techniques traditionnelles qui semblent s’échapper de leur cadre naturel. Ainsi Dai Fujiwara a bâti une maison qu’il compare à un corps humain. Son toit est en tissu et agit comme une peau plus que comme un élément décoratif. Il régule la lumière, la chaleur, l’humidité. Dommage que nous ne sachions pas ce qui se passe avec un climat pluvieux.

Dai Fujiwara, La maison du soleil, maquette en bois, 2000, © De fil en archive

Dai Fujiwara, La maison du soleil, maquette en bois, 2000, © De fil en archive

Birth de Hitomi Nagai, en tissu nid d’abeille est légèrement inquiétante car terriblement vivante.

Hitomi Nagai Birth 2011 Coton 175 x 110 x 28 cm Photo : Takeshi Kusakabe

Hitomi Nagai
Birth
2011
Coton
175 x 110 x 28 cm
Photo : Takeshi Kusakabe

Kayuzo Onayama partage ce goût pour les caractéristiques des tissus et crée une œuvre hypnotique à base de polyester jaune et blanc qui vibre avec l’air et la lumière.

Kayuzo Onoyama, Orikata, 2008, polyester plié  © De fil en archive

Kayuzo Onoyama, Orikata, 2008, polyester plié
© De fil en archive

Naoko Serino propose l’œuvre la plus étrange en utilisant de la fibre de chanvre et en l’assemblant selon un procédé personnel. Ces grands ressorts beige doré semblent suspendus dans l’espace et projettent une ombre au sol qui rappelle le motif traditionnel du patchwork américain : les anneaux de mariage. L’artiste Akio Hamatani choisit lui d’exploiter les propriétés des matières premières en cherchant surtout à ne pas les brusquer, pour obtenir le résultat le plus naturel possible. W-Orbit trône, à la fois majestueuse et légère et s’inscrit merveilleusement bien dans l’espace de l’exposition. L’indigo se mêle au blanc et grâce à la transparence du tissage crée d’autres motifs.

Akio Hamatani, W-Orbit, 2010 Rayonne, indigo

Akio Hamatani, W-Orbit, 2010
Rayonne, indigo

Akio Hamatani, W-Orbit, 2010 Rayonne, indigo © De fil en archive

Akio Hamatani, W-Orbit, 2010
Rayonne, indigo © De fil en archive

Akio Hamatani, W-Orbit, 2010 Rayonne, indigo © De fil en archive Diamètre : environ 400 cm

Akio Hamatani, W-Orbit, 2010
Rayonne, indigo © De fil en archive
Diamètre : environ 400 cm

Chacune des œuvres donnent envie d’arrêter le temps, de s’immerger dans cet espace à part et de s’intéresser à cet art apparu dans les années 60 aux Etats-Unis et à la Biennale internationale de la tapisserie de Lausanne avec le courant « Nouvelle tapisserie ».

Fiber Futures, les explorateurs de la création textile au Japon

Jusqu’au 11 Juillet 2015

Maison de la culture du Japon à Paris

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