Je dois avouer qu’avant de savoir qu’une expo sur la mode au Moyen Age se tenait dans ce lieu un peu secret, je ne le connaissais pas. J’étais souvent passée devant sans y faire très attention. Un peu en retrait derrière les arbres dans la rue Etienne Marcel, elle jouxte une école.
Le site annonce sobrement qu’elle est le dernier vestige du Palais des ducs de Bourgogne au XVe siècle et qu’elle conserve un bel escalier à vis (c’est vrai!). Cela étant, ce monument abrite une exposition temporaire qui a de quoi attiser la curiosité. Une particularité de ce lieu est de proposer des expositions thématiques sur le Moyen Age avec une grande rigueur et des commissaires d’expo passionnés.
Ici vous ne verrez pas de pièces originales car de part son budget, son espace et le thème abordé cette année, le choix a été de faire des reconstitutions, si possibles dans des tissus proches des originaux, et d’illustrer le thème avec des enluminures géantes. En effet, présenter des pièces historiques nécessiterait beaucoup de contraintes. Etonnamment, ce parti-pris permet de déculpabiliser le visiteur en supprimant l’aspect sacré qui aurait pu éloigner certains spectateurs.
J’ai eu la chance, grâce au Séminaire d’histoire de la mode, de pouvoir suivre une visite avec Nadège Gauffre Fayolle, commissaire de l’exposition. Sa passion et ses recherches permettent de faire le point sur la notion relative de mode à cette époque. En effet, dans l’exposition elle insiste sur les grands courants de l’habillement uniquement pour l’aristocratie. Pourquoi ? Parce qu’il faut faire des choix et qu’en plus il est un peu plus facile de trouver des représentation voire des vestiges de l’habillement des nobles de l’époque.
L’habillement évolue peu entre les Mérovingiens et le XIème siècle. Les hommes portent une tunique et des braies (pantalon), tenues avec lanières et jambières, tandis que les femmes portent une tunique et un voile manteau (pour comprendre, il suffit de regarder les représentations de la Vierge).
La mode évolue ensuite de manière assez unisexe. Hommes et femmes portent des tuniques et surcots qui se différencient uniquement par la longueur et la présence de fentes sur le devant pour les hommes (plus commode pour bouger). Sans que l’on puisse l’expliquer véritablement, savez-vous quelle est la partie du corps que l’on magnifie ? Le bras ! Les manches sont chauve-souris et cette partie du corps est l’objet de toutes les attentions pour être galbée et remarquée.
L’exposition évoque aussi la coupe des vêtements qui privilégie les formes simples et l’ajout de quilles de tissu pour ne pas gaspiller les étoffes.
La première partie de l’exposition esquisse en quelques silhouettes fortes les canons esthétiques.
Au XIVe siècle, les hommes veulent de la carrure et n’hésitent pas à rembourrer leur pourpoint grâce à un matelassage « en assiette » (qui forme des arrondis et laissent de la liberté de mouvement). Les chausses coupées dans du biais, là encore pour des questions de mobilité, parachèvent une silhouette toute en jambes. Pour s’adapter aux saisons, le grammage de la laine est différent en été et en hiver. Une autre particularité est d’obtenir un tissu velouté proche de l’aspect du velours, mais en utilisant de la laine à longs poils, qui est ensuite rasée. Cette étoffe vient des Flandres.
Cette tendance qui sculpte les jambes augmente au XVème siècle avec des pourpoints plus courts (mi- fesses) et des chausses qui s’adaptent et se cousent à l’entrejambe. Elles présentent la particularité de s’ajuster avec des « aiguillettes » nouées qui nécessitent souvent l’aide d’un domestique pour obtenir un effet parfait. De manière péjorative, cette silhouette masculine est comparée au lévrier.
Les femmes privilégient une cotte ajustée et lacée avec un buste très étriqué pour allonger la silhouette. La coupe princesse est de mise.
Une partie étonnante est consacrée aux sous-vêtements masculins et féminins. Les représentations d’hommes en sous-vêtements est usuelle dans la littérature médiévale : scènes de jeux, de lutte, et même de foulage du raisin. En les décortiquant, on apprend beaucoup sur l’évolution du caleçon pourvu de lanières pour être remonté ou au contraire maintenu long, des chemises complètent la tenue et même des slips pas si loin des modèles actuels.
Une découverte surprenante au château de Lengberg en Autriche nous apprend que le maintien de la poitrine faisait l’objet d’une attention marquée : le soutien-gorge et la robe à sachets, qui permettent de maintenir la poitrine, existent déjà. La mode est au buste menu et c’est aussi une préoccupation médicale de l’époque.
Si le tissu est actuellement facile à réaliser et se renouvèle particulièrement vite (trop vite), le Moyen-Age voit le textile très différemment. On parle alors de lin, de soie, et de laine et se vêtir coûte cher. Les vêtements sont entretenus, préservés, transmis et réutilisés.
Une pièce entière de l’exposition (au sous-sol) nous emmène dans un atelier de couture.
La garde robe est une vraie préoccupation (et une vraie fonction). Pas question de laisser les vêtements en vrac sur le sol. Ils sont suspendus sur des perches (pour éviter le grignotage des rongeurs), régulièrement aérés pour éviter les moisissures, entreposés dans des coffres pour éviter les puces.
Et les taches ? Les marchands ambulants vendent des préparations pour détacher et entretenir. Le fiel de bœuf, le blanc d’œuf, l’urine, l’argile sont une partie des ingrédients qui rentrent dans la composition des produits.
On brosse, on époussette, mais on lave aussi en fonction des textiles. Le linge blanc doit rester immaculé car il est souvent visible. Grâce à des fentes et par coquetterie, il est suggéré ou exposé.
Il est aussi utilisé en contraste avec les autres vêtements colorés qui sont eux même doublés différemment.
Il faut garder en tête que les moralistes et le clergé ont une force énorme à l’époque. Les lois somptuaires fixent les règles sur le luxe. La société est organisée et chacun doit rester à sa place, ni se surélever, ni se rabaisser. C’est valable aussi dans l’habillement. Pour adoucir ces dogmes la population a plusieurs subterfuges : les détails, les accessoires et les occasions spéciales.
Pour mettre en valeur les étoffes précieuses on voit par exemple l’apparition de fentes non utilitaires sur les vêtements, comme la « monstre » qui permet de dévoiler au niveau de la taille les étoffes du dessous. Elle part à la base d’un aspect pratique, qui était d’accéder à ses affaires nouées à la ceinture. Les belles n’avaient pas de sac à main !
Un ornement visible au XIVe siècle est la freppe. Ce découpage du tissu comme le canivet de papier, permet d’embellir son vêtement par un détail dans un tissu plus précieux et plus dense. Il peut se changer s’il est défraichi. Ce souci de la pérennité des ornements se retrouvait dans l’exposition Indigo avec les broderies.
Un autre aspect important est le couvre-chef. Pas de femme tête nue (sauf les prostituées). Il prend plusieurs formes mais a tendance à s’élever jusqu’à la démesure.
Grace au fil archal (fil métallique).
Le hénin, coiffe à corne, est en fait une mauvaise appellation (liée à une insulte aux femmes portant cette coiffure et évoquant le diable). Il faut en fait parler de flocard.
Pour les hommes on utilise un chaperon (comme pour le petit chaperon rouge), mais il est souvent détourné (en inversant la manière dont on le pose sur la tête pour obtenir une coiffure en crête de coq par exemple), l’ancêtre de la casquette à l’envers.
L’exposition est d’une richesse incroyable de documentation. Pour le vêtements de bal, j’ai découvert les costumes d’homme sauvage en étoupe de lin et cire qui sont célèbres pour le tragique bal des Ardents, ou encore le costume du fou du roi et sa signification ; les décors temporaires à la feuille d’or (la batture) qui donne l’illusion d’un vêtement précieux.
Les chaussures sont jetables et le fameux cousu retourné utilisé encore aujourd’hui par une célèbre marque de chausson de danse… On achète les chaussures en grande quantité et la démarche est dansante. Elle accompagne les grelots qui provoque une mode sonore !
On pourrait écrire trois articles avec la quantité des informations de cette exposition temporaire. Et il est frustrant de ne pas tout raconter : une seule solution, allez-y ! Un seul regret peut être c’est l’absence d’un glossaire sur les termes des vêtements.
Le petit fascicule (7 euros) qui accompagne l’exposition reprend une grande partie des informations de celle-ci, et permet de se remémorer ou de compléter sa visite.
Les anciennes expositions tournent dans d’autres région comme Dourdan, ou le château du Clos Vougeot.
EDIT : Un glossaire est en cours de réalisation : réactivité de la Tour Jean sans peur !
La mode au Moyen Age, Tour Jean sans peur jusqu’au 15 janvier 2017
Mettre en lumière le patrimoine unique des marques de luxe : des trésors à redécouvrir