Déboutonner la mode est la nouvelle grande exposition du musée de la mode et du textile. Enfant je pouvais passer des heures à jouer avec la boîte à boutons de ma maman. Tout retourner, les trier, par couleurs, formes, motifs, c’était un vrai trésor ! Entrer dans cette exposition c’est un peu retrouver ce plaisir, les explications en plus.
En 2012, le collectionneur Loïc Allio fait don de sa collection de boutons au musée. Véronique Belloir, commissaire de l’exposition et chargée des collections au musée Galliera raconte le travail minutieux qu’elle a réalisé avec son équipe et le photographe Patrick Gries pour organiser, classifier, répertorier.
« C’était un travail colossal » Véronique Belliard
Pour comprendre le bouton, l’exposition commence par une vitrine sur les matériaux utilisés. Si la nacre ou le bois sont connus de tous, le champ des possibles est immense, métal, papier, passementerie de soie mais aussi par exemple peau d’éléphant ou pain… Ces grandes boîtes qui font correspondre objets et boutons sont très esthétiques et didactiques.
Si la fonction du bouton est évidente, on apprend que son usage commence vraiment au XIIIe siècle. Le plus ancien spécimen de cette collection remonte au Ve siècle avant J-C et provient de la région de l’Ordos en Chine. Ici on comprend que le bouton au XVIIIe siècle et d’abord une histoire d’homme. Il orne le costume masculin et peut être la déclinaison du motif principal du tissu. Ame d’os, ou de bois il est recouvert de métal lamé et de passementerie.
Il devient aussi une manière d’afficher des penchants et des opinions avec des scènes miniatures. Le vêtement masculin est très codifié et à la fin du siècle, un habit comporte 18 boutons et seuls 2 ou 3 sont fonctionnels. Le bouton devient alors un objet de luxe d’orfèvrerie qui perd sa fonction première.
En 1808 les vêtements adoptent des proportions « à l’antique » et la passementerie en tresses et triple rang de boutons du Dolman (veste du folklore hongrois).
C’est avec cette mode que le bouton devient aussi un élément du vestiaire féminin. La robe dite redingote se porte avec un gros jupon de linon blanc. Les coupes et les tissus sont sobres. C’est un grand succès de la fin du XVIIIe siècle.
Pour la femme, d’ornement le bouton reprend une place fonctionnelle. Séparant sagement le vêtement symétriquement, il enferme chastement le corps, pour laisser la place à l’esprit, à la pensée selon les idées en vogue. De même pour l’homme le boutonnage prend le pas sur le bouton (différence subtile). Il continue néanmoins par sa position sur les gilets à dicter les codes de l’élégance. Brumell inspire ces nouveaux usages.
Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, ce courant touche tous les domaines : mobilier, bijoux, vêtements et… boutons. Les lignes deviennent sinueuses et les motifs sont stylisés. Le bouton devient tellement précieux qu’il devient alors un cadeaux à part entière, présenté par série dans des écrins comme pour un bijou.
1880, le corset est bien fermé. Les boutons prennent une autre dimension sociale, car ils sont boutonnés dans le dos. Difficile alors de s‘habiller seule… Le devant de l’habit reste sage. On trouve néanmoins quelques boutons dissimulés au niveau du col qui cache parfois des scènes érotiques.
Peu à peu, le bouton prend son envol. Trente mille personnes travaillent pour cette industrie. De véritables capitales industrielles se créent. Méru dans l’Oise travaille la nacre, Briare la céramique émaillée avec un procédé industriel innovant. Les vitrines présentent nombres de planches de boutons, un « tire bouton » utilisé pour les minuscules boutons de bottines, ainsi que de nombreux exemples de sous-vêtements.
La silhouette féminine évolue et l’ornement aussi. C’est l’apparition de minuscules boutons « en soutane ». Paul Poiret les place au cœur de ses créations. Pour illustrer cette période la scénographie utilise des tirages grandeur nature de photos en fond de vitrine qui se juxtaposent aux mannequins portant les vêtements, donnant une impression vivante sans artifice numérique.
La dernière salle du rez-de-chaussée est consacrée à Henri Hamm (1871-1961). Neuf cents pièces issues de son atelier sont présentées, se démultipliant dans les miroirs. Peints ou teints, sa production est variée et présente un goût marqué pour la couleur. Ces inspirations sont issues de la faune et de la flore. Cette multitude n’est en rien monotone grâce à des regroupements par couleurs, matières, formes…
Le second étage de l’exposition consacre la création du XXe siècle. Deux matières apparaissent : la Galalithe et le celluloïd, permettant d’obtenir de la brillance et une infinité de formes.
Les années 30 et 40 marque l’émergence des paruriers. Ces artisans se spécialisent : Rousselet travaille la perle, Lemarchand, le cuir et Scemama le bouton fantaisie. C’est aussi la période où la géométrie, la coupe et l’abstraction sont à l’honneur. Le bouton répond au tissu. Chez Vionnet on trouve de gros boutons boules et plats. C’est l’apogée de la simplicité des formes.
Ce qui est intéressant avec les boutons, c’est leur adaptation à la situation. Par exemple en 1925, les robes raccourcissent et la mode est aux bas de soie couleur chair. Les jarretelles sont amovibles et les petits boutons de nacre fantaisies se placent à cet endroit caché. L’exposition présente de ravissants exemples de visages peints sur de la soie.
En 1940, le bouton devient patriotique, il égaye les habits de l’occupation en étant parfois la seule touche de couleur. A la libération il devient un moyen d’exprimer ses convictions.
Ce célèbre parurier, descendant de Victor Hugo, est au cœur même de l’avant garde artistique et de la haute-couture. Il travaille avec Picasso, côtoie Arp, Matta, Ernst, Derain et Cocteau… De 1939 à 1955, il fabrique des boutons pour la haute-couture. Ses matériaux ne sont pas conventionnels. Il peut partir de fils électriques tordus, plissés, tressés, aplatis, mais aussi de cailloux sertis d’or.
Les grands couturiers lui font confiance, comme Christian Dior, Jacques Fath ou Gabrielle Chanel. Il développe une grande complicité avec Schiaparelli pour laquelle il utilisera des refusés de Chanel. Sa production est très variée et créative.
La dernière partie de l’exposition s’intéresse aux couturiers célèbres et à leur usage du bouton. C’est en effet pendant cette période que les paruriers font du bouton un pendant du vêtement, véritable bijou fantaisie unique.
Elsa Schiparelli puise son inspiration dans le surréalisme. Elle propose des défilés à thèmes comme l’astrologie, le cirque, les papillons. Elle envisage les boutons comme des détails précieux, surdimensionnés et décoratifs. Les boutons deviennent papillons, cigales mordorées ou coléoptères. Pour ce travail incroyable, c’est Jean Schlumberger qui réalise les idées d’Elsa. Il invente dans son atelier de joallerie boutons, broches, peignes. Il emploie de l’émail du métal, des perles de verre comme sur ce couple d’autruches à pendeloques.
Jean Clément travaille lui aussi pour Schiaparelli avec de la résine et de l’émail, produisant entre autre des formes d’objets ou d’instruments de musique. Christian Dior renouvelle ses formes de boutons à chaque nouvelle collection. Il travaille avec Roger Jean-Pierre et Francis Winter. La maison Gripoix produit les boutons de Chanel qui leur donnent une allure quasiment militaire. Pour Balenciaga, le boutonnage rythme le vêtement et les boutons sont ouvragés et plats.
Yves Saint Laurent leur accorde tellement de place qu’ils sont préfigurés sur les toiles des vêtements. La scénographie reproduit les plateaux de boutons qui étaient toujours disponible dans son studio de création.
Courrège avec ses silhouettes simples et graphiques choisit de simples pastilles de plastique.
Une dernière salle accentue cette proximité entre artiste et bouton d’art en présentant les travaux de nombreux artistes comme Sonia Delaunay ou Line Vautrin.
L’article est long mais l’exposition est fleuve. La scénographie donne une proximité plaisante avec les œuvres car les mannequins sont proches des vitrines, sans piedestal. Pas de lassitude car chaque section se renouvelle, alternant des séries de photos, des boutons bien sûr, mais aussi des univers propres aux paruriers ou aux créateurs. A noter un effort important sur la taille des cartels et les numéros auxquels ils se réfèrent. L’obscurité est de mise et rend l’ensemble solennel.
Deboutonner la mode
Musée de la mode et du textile
jusqu’au 19 juillet 2015
Mettre en lumière le patrimoine unique des marques de luxe : des trésors à redécouvrir