Le palais Galliera présente la première exposition consacrée à Jeanne Lanvin.Pour Olivier Saillard, le conservateur, il était évident de rendre hommage à cette talentueuse couturière. En collaboration avec Alber Elbaz (le créateur actuel de la maison Lanvin et ce depuis 14 ans) voici donc à Paris la première grande rétrospective avec quatre-vingt dix modèles mis en scène.
Il y a des expositions où l’espace ronronne, ça fonctionne sans être révolutionnaire (et ça n’est pas grave). Ici au contraire, les salles ont été repensées totalement par rapport aux précédentes expositions du musée : les années 50, Papier glacé, et Azzedine Alaïa.
En effet les deux grandes salles principales sont traitées en longueur, mais sans ennui. Le rythme est donné par les vitrines installées spécialement pour l’occasion quelque fois même en quinconce. Elles sont reprises des installations des boutiques Lanvin et sont particulièrement réussies : vitrines piano qui permettent de positionner les robes à plats et de les voir à la verticale, ou encore vitrines triptyques pour admirer chaque angle du vêtement sans se tordre le cou. Les fonds sont en miroir ou en parquet, ce qui donne une atmosphère à la fois rassurante et brillante, un peu comme l’esprit de la créatrice.
Certaines vitrines sont dépourvues de verre protecteur pour isoler le vêtement. C’est un parti-pris. Il s’avère après renseignement que les œuvres dans ces dispositifs sont moins fragiles et bénéficieront d’un dépoussiérage hebdomadaire. Espérons que les visiteurs seront respectueux.
La conception de l’exposition est traitée comme un condensé des codes maison de chez Lanvin. La naissance du logo, la palette des bleus, les inspirations ethniques, la broderie, les robe de style XVIIIe, le département enfant… Par petites touches juxtaposées le visiteur rentre dans l’univers de cette maison de couture. Les explications et cartels (descriptif d’oeuvre) sont précis mais n’accaparent pas l’attention. On se sent libre de papillonner, admirer une robe, revenir, s’informer. C’est en soi une grande liberté, car l’exposition est didactique mais vivante. Ce sentiment est très certainement lié à la collaboration d’Olivier Saillard, avec le créateur Alber Elbaz. Celui-ci a eu la grande intelligence d’intervenir dans l’esprit de la scénographie mais de laisser la vedette aux créations de Jeanne Lanvin. Elles sont vraiment le cœur de la visite. Une série de photos de l’atelier en 1937, issues du fond du photographe Roger Schall, retranscrit l’ambiance de cette maison de couture.
Laure Harivel, du service Patrimoine Lanvin, explique que la numérisation systématique du fond a permis l’identification de certaines pièces dans les collections de Galliera pendant la préparation de la rétrospective en concertation avec le musée. Dans les salles on retrouve un dispositif vidéo, agréable car assez grand qui présente des dessins de haute mode (chapeaux), ainsi que des dessins de créations accompagnés des échantillons correspondants.
Il faut noter qu’une application smartphone est disponible gratuitement en téléchargement et aussi directement dans le hall du musée. Elle reprend les principales sections de l’exposition avec contenu audio et écrit. Deux ou trois dessins ou photos par chapitre illustrent le propos. On retrouve aussi la biographie de Jeanne ainsi que quelques photos de famille et les liens vers les réseaux sociaux. Avant ou après la visite c’est un bon récapitulatif, véritable support de médiation.
Ce qui est frappant dans les créations de Jeanne Lanvin, c’est d’abord beaucoup d’élégance. Elle magnifie le corps des femmes et les invite dans son imaginaire. Les lignes sont fluides, elle aime la soie, le crêpe, le lamé. Beaucoup de noir et de blanc en complémentaires comme par exemple sur cette robe ayant appartenu à Alice Alleaume dont le plastron et les poignets sont en Rhodoïd blanc en pointe de diamant. la robe a été refaite par les ateliers pour l’exposition.
Les broderies de perles de toutes sortes sont des constantes qu’elle pose volontiers sur les poignets, en succession de bracelets, à la taille (toujours marquée), ou encore au col ou sur les épaules. La broderie peut aussi prendre la forme d’un nœud géant sur le devant d’une jupe ou couvrir délicatement l’ensemble d’une pièce si elle est vermiculée (fin et sinueux).
Pour éviter la copie et pour maitriser totalement sa création, Jeanne possède trois ateliers de broderie (1925) où elle fait réaliser ses échantillons qui sont conservés précieusement. Cette filière personnelle lui permet d’avoir un style en avance sur les autres couturiers.
Les robes de l’exposition universelle de 1925 ou les robes du soir présentent une profusion de broderies bijoux, d’une grande délicatesse qui magnifient et soulignent les formes. Elles sont souvent associées à des noms appartenant à l’univers antique.
Les nœuds symbolisent la relation fusionnelle qui la lie à sa fille Marguerite (future Marie-blanche de Polignac). Cette relation privilégiée se retrouve jusque dans le logo de la maison avec le dessin de Paul Iribé qui orne toujours la griffe de la maison, et le flacon Arpège boule noire et or d’Arnaud-Albert Rateau. Un rare exemples de poupées
La géométrie est un thème majeur sous forme de surpiqûres, de cercles, lignes, broderies carrées : tout est bon pour l’équilibre de la ligne. Un exemple superbe est la robe Phèdre de 1933 avec, dans la traîne, de grands carrés surpiqués et symétriques.
Il va de paire avec les inspirations ethniques (broderie orientale). Son répertoire iconographique mélange l’imaginaire colonial avec la Chine, le Japon, la Turquie et la Russie. Les broderies russes et dalmatiennes utilisent de petits morceaux de corail en contraste sur un fond bleu. Le bleu Lanvin est réputé pour avoir une infinité de nuances aux noms poétiques. Le vert absinthe et le rose poudré, doux et flatteur sont aussi utilisés. Pour encore une fois maîtriser ses matières premières, Jeanne Lanvin ouvre aussi un atelier de teinture à Nanterre.
Son goût des formes simples lui fait emprunter au registre militaire les broderies à brandebourgs et les cols montants.
Il ne faut pas oublier le goût de Jeanne Lanvin pour le Moyen-Age dont elle utilise souvent le vocabulaire stylistique ainsi que le XVIIIe siècle avec le modèle qui deviendra emblématique de robe pourvu d’un grand jupon bouffant.
Cette exposition devait répondre à un souhait d’Alber Elbaz, que les visiteurs sortent en ayant envie de dire « I love Jeanne Lanvin », pari largement réussi !
Jeanne Lanvin Palais Galliera jusqu’au 23 Août 2015.
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