A Paris a commencé la dixième étape de l’exposition Jean-Paul Gaultier mise en place par le musée des Beaux-arts de Montréal. 1,4 millions de visiteurs ont déjà pu l’admirer à travers le monde. Voici enfin venu le tour de Paris avant que Münich ne prenne le relais. C’est le Grand Palais qui accueille cette énorme caravane (14 tonnes de matériel quand même). Jean-Paul Cluzel séduit par sa visite de la précédente étape a ouvert l’espace de la rotonde.
Il est rare de voir une exposition liée à un créateur de mode vivant qui en plus a fondé sa propre maison. Jean-Paul Gaultier dit avec humour: « D’habitude c’est pour les gens morts ! ». Cette aventure a commencé en 2009. Pour Nathalie Bondil (conservateur en chef du Musée de Montréal) l’événement est davantage une installation contemporaine qu’une exposition classique de mode. Et c’est vrai qu’elle n’a pas tort… (Teasing pour la suite de l’article).
Si la collaboration entre Jean Paul Gaultier et l’équipe de Montréal a fonctionné c’est d’abord parce qu’elle véhicule un très fort message de tolérance. Le créateur a toujours voulu jouer avec la mode et ses codes. Chez lui tout le monde est représenté : les différentes couleurs de peaux, de religions, de poids, de tailles, de sexe : c’est le multiculturel assumé.
Thierry Loriot (commissaire de l’exposition) souligne le travail préparatoire de l’exposition (deux ans dans les archives de la maison) et la volonté de présenter toutes les facettes du travail du créateur. Il souligne que sa mode ne suit pas les modes, mais reste en phase avec la rue.
Jean Paul Gaultier s’amuse du parallèle puisqu’il y a 40 ans, il organisait son premier défilé au palais de la découverte (juste à côté du Grand Palais). Modeste et loin de se prétendre artiste, il donne sa ligne directrice : s’amuser dans la vie ! L’exposition a été conçue comme une sorte de « super défilé », un vrai show. Comme il s’agit de la dixième étape et en plus dans sa ville certains espaces ont été renforcés (les muses) ou ont évolué.
Au travers de cette exposition thématique il ouvre aux visiteurs d’abord son jardin secret. Visite de l’exposition.
Ce préambule résume à lui seul les premières inspirations déterminantes dans la vie du couturier.
Pour Paris cette salle a été revue avec l’installation « morphing » de Jurgen Bey qui enrobe tous les objets d’une seconde peau blanche en tissu élastique. Des portraits de famille, avec l’influence prépondérante de sa grand-mère et la grande ouverture d’esprit de ses parents sont mis en lumière par des photos de famille. Son ours en peluche Nana, mannequin malgré lui du petit garçon est présenté dans une vitrine. Le film Falbalas de Jean Becker qui a marqué son imaginaire, son compagnon Francis Ménuge avec qui il a fondé sa maison… Ses premières muses d’Anna Pawloski à Farida Kelfa.
Ces jalons fondateurs font face aux premiers modèles de Jean-Paul Gaultier. Dont la robe Sainte Nitouche de 1971 et une robe en sac poubelle de 1980.
Les sirènes et les marins sont des emblèmes forts de l’univers de Jean-Paul. D’abord parce qu’il considère la marinière et le pull marin comme des indémodables. Il les réinterprète continuellement dans toutes les matières et toutes les techniques. Mais si cette salle est extraordinaire c’est aussi par cette innovation de l’exposition : le mannequin animé.
Voir la vidéo de la Sirène
En effet le couturier qui fréquente régulièrement le festival d’Avignon ne concevait pas une exposition figée. C’est pourquoi la scénographie a intégré des mannequins Jolicoeur International, créés spécialement pour l’exposition pour donner un rendu extrêmement vivant. La deuxième collaboration se fait avec Denis Marleau, du théâtre UBU de Montréal. Pour animer l’exposition certains mannequins se mettent à vivre grâce à leur visage. Celui-ci, réalisé à partir de vidéos et de moulages donne une impression saisissante. Chaque personnage devient un être humain, avec ses mimiques, ses sourires bienveillants, son allure. Un nouveau rythme est donné au parcours de l’exposition. En effet dans cette salle, le couturier en personne parle de son exposition au visiteur, capte son attention pendant que les autres mannequins continuent à vitre comme une assemblée en représentation. C’est la première fois que je vois un dispositif aussi novateur. Les vêtements ont toutes leur place, mais sont renforcés par ce dispositif. La salle est nimbée de bleu aquarium.
Sur une estrade le chœur des vierges ne se contente pas de sourire mais chante aussi. En effet cette iconographie religieuse détournée fait partie de l’univers de JPG. Combinaison pantalon en dentelle blanche de Kylie Minogue ou vierge qui se serait habillée en blanche neige, tout est décalé et exacerbé. Les auréoles, les cœurs sanglants , les calices, robes longues et couleurs kitch se côtoient dans un joyeux mélange.
Cette exposition qui se vit comme une succession de surprises a mis la barre très haut avec cette scène. Un grand podium, où les mannequins tournent sous la voix de Catherine Deneuve, reproduit un défilé de modèles emblématiques des collections de haute couture de Jean-Paul Gaultier. De part et d’autre on retrouve les spectatrices/ clientes/muses du défilé, et de l’autre une succession de punks en tartan, tous plus géniaux les uns que les autres. Un peu goguenards ils se laissent admirer dans ce mélange des genres cher au créateur. C’est l’occasion de rendre hommage au magnifique travail d’Odile Gilbert qui a coiffé l’ensemble des mannequins de l’exposition. Cette profusion de silhouettes étourdie le visiteur de joie et d’émerveillement.
On retrouve aussi beaucoup de photographies dont cette très belle photo de Peter Lindbergh qui symbolise bien les mannequins et la mode dans années 90.
Le couturier revendique son goût pour la beauté non classique, pour les tailles, les individus hors norme dans toutes les acceptations. Dans cette salle, on admire Teri Toye, equin transgenre ou Eve Savail au crâne rasé et tatoué. Le défilé amfAr au profit de la recherche contre le sida est montré au public sur grand écran. Le corset de Beth Ditto entre autre fait pendant au film. Cette salle hyper sonorisée donne l’impression d’arriver soi même dans un défilé par le backstage. L’impression est renforcée par le monumental escalier et son installation sonore et lumineuse créé par Monument Factory.
Dans une atmosphère beaucoup plus intime, sont disposés de nombreux corsets. Avec Gaultier on oublie la contrainte du corps pour parler charme et sensualité. Il aime le charme suranné du corset mais pas ses contraintes. Dans toutes les collections et collaborations artistiques, il le retravaille pour qu’il acquière un symbole de force et d’exubérance, aussi symbolique et évident que la veste masculine.
Le latex, le bondage, le cuir et la résille ne sont pas à première vue les symboles les plus chics en mode. La peau se pare de collants tatouages qui créent l’illusion d’une peau nue et sensuelle. La scénographie propose ici une ambiance beaucoup plus érotique pour mettre en scène les silhouettes. Coffrage rouge et murs percés. Ces codes sont depuis longtemps repris par beaucoup de créateurs. Ce que j’ai trouvé incroyable ici c’est le mannequin homme qui parle à son double dans un miroir et qui s’interroge sur le droit des hommes à porter des vêtements couture. Et à assumer leur beauté et leurs envies.
Dans le thème Métropolis ou la vidéo fuse de toute part, les collaborations artistiques liées à la télévision, au cinéma ou à la danse se mélangent dans une douce cacophonie.
Ici c’est encore une apothéose. Deux grandes vues de Paris en vidéo donnent le ton. L’impression est que toutes les influences et les envies de Jean Paul Gaultier se retrouvent en condensé : mélanges ethniques, hybridation, recréation.
« Il rassemble ce qu’il aime mixe et matche, collecte et transgresse puis synthétise en un seul vêtement ».
Ces silhouettes hyper soignées ont un autre avantage, c’est qu’elles montrent le foisonnement des métiers d’arts qui travaillent pour le couturier. Chaque silhouette est une ode à la beauté et au savoir-faire. Coiffe d’écailles, robe en laine, robe du soir en tulle camouflage ou encore sac en cuir reproduisant une feuille de palmier plus vraie que nature et tellement désirable.
Jean-Paul Gaultier a arrêté son activité de prêt-à-porter car il ne trouve pas de plaisir dans le marketing dicté par les grands groupes. Il continue la haute couture et les collections capsules. Dans cette exposition on sent toute la force de vie et de liberté qui constitue sa création. Il aimerait dans le futur faire un spectacle au Folies Bergères. En sortant de cette exposition magistrale, cela sonne comme une évidence tellement le spectacle est présent dans son exposition. Les musées canadiens sont réputés pour leurs qualités de médiation culturelle (clin d’oeil à Colette Dufresne Tassé dont les cours avaient été une révélation). Après avoir vu ce tour de force technique on ne peut qu’acquiescer. Le message est transmis avec en plus de l’amusement.
En complément de l’exposition on trouve une application pour Smartphones. Elle permet de s’habiller Gaultier, de télécharger les programmes des audio guides de s’intéresser à certains modèles en particulier. Un gros bémol cependant si vous ne possédez pas un Smartphone de toute dernière génération, passez votre chemin. Les ressources sont très gourmandes et rien n’a été prévu par exemple pour un Iphone 4S. C’est un peu frustrant.
Jean Paul Gaultier, jusqu’au 3 Août au Grand Palais à Paris
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